Comme tout le monde, vous vous êtes déjà demandé quel était le sens de la vie. Et comme tout le monde, vous vous êtes sans doute rapidement rendu à l'évidence qu'il n'était pas facile de trouver une réponse. Vous avez constasté qu'il y avait, selon toute vraisemblance, des milliers, voire des millions et des milliards de réponses possibles, et pourtant… Pourtant la somme de toutes ces réponses pourrait tout aussi bien n'en faire qu'une ! Comme la somme des milliards d'être vivants sur cette terre — toutes espèces confondues — serait à la fois unique et universelle … La quête du sens des choses, de la vie, les questions sur notre place dans l'univers en tant qu'espèce et en tant qu'individu ne suscitent pas le même intérêt chez tout le monde, bien sûr. Mais chacun aura songé à un moment ou l'autre de son existence, ne serait-ce qu'une seule fois, ne serait-ce que quelques minutes, à se situer dans cette immensité qu'est l'infini. Pour certains sages, l'univers, aussi vaste soit-il, il n'est pas ailleurs qu'en soi-même. L'image du monde est à l'extérieur de nous, mais le monde, lui, n'existe qu'en nous, qu'à travers nous …
Cette quête universelle est souvent plus manifeste dans l'expression artistique. Dans ce domaine bien particulier, la perception et la représentation du monde qui en découle diffèrent considérablement selon que l'on est de culture occidentale ou orientale. L'artiste peintre, graveure de sceaux et calligraphe Ngan Siu-Mui, qui est originaire de Hong-Kong (elle vit à Montréal depuis 1988), illustre bien cette différence de perspective que l'on peut observer chez les artistes originaires de cette région du globe. Cette différence repose d'abord sur l'essence même de la pratique picturale telle qu'elle se présente en Chine, une pratique guidée, encore aujourd'hui, par l'importance de la tradition dans la culture. La tradition orientale au sens large du terme se nourrit de plusieurs millénaires de civilisation ininterrompue et continue de se façonner à même ce riche passé. Ainsi, la philosophie est intimement liée au langage plastique ; une sagesse millénaire doublée d'une humilité profonde devant la nature — et les renseignements qu'on y puise — ordonne et guide l'exploration picturale, exultant dans la peinture. Toutefois, bien que le poids de la tradition se fasse inéluctablement sentir, la réalité contemporaine n'est pas évacuée pour autant, et c'est précisément en cela que se distingue Ngan Siu-Mui.
L'artiste présentera en juin prochain à la Galerie Kô-zen à Montréal, une impressionnante exposition faisant, à la manière unique de Ngan Siu-Mui, la jonction entre l'Occident et l'Orient avec une série d'œuvres inspirées du tango argentin… Rien de moins !
Ainsi, l'artiste peintre et calligraphe1 utilise toutes les ressources de son talent pour jumeler la forme à la calligraphie chinoise, débordant ainsi du cadre traditionnel tout en demeurant tributaire de celui-ci. Cette façon de faire est troublante à plusieurs égards, et tout d'abord par la jonction des sens entre les dimensions formelle et calligraphique, chacune exprimant la même idée, mais en empruntant des chemins différents. Ensuite, le spectateur est fasciné par le jeu de cache-cache qui se révèle peu à peu à la patience du regard, et surtout, par le chassé-croisé entre le signifiant et le signifié qui accentue le pouvoir du signe graphique que l'on croyait tantôt limpide mais qui en même temps se dissimule, un peu à l'image d'une poupée gigogne … Force est de constater que l'on peut difficilement dissocier la calligraphie et la peinture de l'expression de Ngan Siu-Mui, laquelle, pour notre plus grand plaisir, les entrelace jusqu'à les rendre inséparables.
Soulignons en terminant quelques fait marquants de la carrière de Ngan Siu-Mui. Elle a participé au film Le violon rouge à titre de calligraphe. Elle a été invitée à soumettre une œuvre de calligraphie par le «Calligraphy Stele Committe of the Long Dam of Wei River» à Xianyang en Chine (une ville près de Xi'an) son œuvre a été retenue par le comité et sera incessamment gravée dans une stèle de pierre.
Elle s'est vue décerner plusieurs distinstions honorifiques importantes, dont le Certificat québécois de la citoyenneté pour sa contribution au rapprochement culturel et la médaille d'excellence à l'exposition d'art asiatique en Corée. Plusieurs collections possèdent de ses œuvres dont le Musée canadien des civilisations, le Cultural Art Research Society en Corée, la Coalition of International Calligraphy Union au Japon, le Schicheng Calligraphy and Seal Carving Society à Singapour, le Taiwan Arts Center et le Taiwan History Museum. Elle est l'auteure de plusieurs ouvrages dont La calligraphie chinoise, art abstrait, peinture de l'esprit et The Art of Ngan Siu-Mui. Fondatrice de la Société pour la culture chinoise traditionnelle de Montréal, elle dirige sa propre école, l'École d'art Ngan Siu-Mui.
1On peut regarder la calligraphie chinoise de deux façons: y voir un art formel servant à l'écriture ou y voir un art extrêmement raffinévivant depuis plus de trois mille ans, art basé essentiellement sur le concept des idées-images, ces formes cachées qui habitent la calligraphie chinoise. La substance des traits est donc douée de formes inspirées par la nature, par exemple l'eau, le feu, les nuages, les montagnes, les arbres ; la substance des traits est aussi porteuse de mouvements tels une danse, une marche, un envol, une flèche fendant l'air.
Robert Bernier est éditeur et rédacteur en chef de la revue Parcours, l'informateur des arts.